De Udaipur à Pilibhit

De Udaipur à Pilibhit, un peu plus de 900 km. qui ne dérogèrent pas à la règle de l'Inde : nous faire vivre un foisonnement d'émotions, de sentiments et d'états. En voici un petit échantillon. 

BIEN-êTRE (après Udaipur, 22.01.2013)
Renouement avec notre vie nomade de cyclo-voyageurs après douze jours de pause. Notre équipement est à nouveau complet grâce au matériel collecté par mes parents et acheminé par ceux d'Olivier. Ce soir, nous pouvons enfin cuisiner à nouveau. Le site de camping sauvage n'a rien d'extraordinaire. Mais voilà : nous retrouvons nos habitudes et routines d'antan. Je n'avais pas imaginé à quel point cela nous ferait du bien de pouvoir refaire notre popote, déguster un café bien chaud, manger une grande platée de pâtes, faire la vaisselle... Tous ces actes nous rattachent à une réalité familière malgré l'environnement étranger. Et pour couronner le tout, juste avant de rentrer dans notre tente, sous un ciel étoilé, nous ouvrons…une boîte de chocolats suisses amenée par les parents d’Olivier.

TENDRESSE (Aroli, 26.01.2013)
Nous passons le Republic Day  dans la broussaille du Rajasthan. Nous sommes cloués sur notre lieu de camping, les cuisses d'Olivier étant littéralement en feu. Trop de kilomètres le jour précédent. On en profite pour lire, cuisiner, écrire et adopter deux adorables petits chiots. Deux petites boules de poils qui nous ont trouvés sur leur passage et qui ont établi un campement à côté de nous. Il faut dire qu'avec les soins d'Olivier, ils avaient tout intérêt à rester ! Ce n'est pas tous les jours qu'ils ont du lait à boire et de la semoule à manger.

COLèRE ET INCOMPRéHENSION (Läkheri, 30.01.2013)
Trois hommes, un feu et une tente...

INDESCRIPTIBLE (Gangapur, 01.02.2013)
Trop. Il y a trop. Trop de klaxons. Trop de bruit. Trop de monde. Trop de regards intrusifs. Trop de comportements ahurissants. Trop. Du lever au coucher. Et rien qui ne permette d'éteindre la boule de feu qui se forme à l'intérieur. L'énervement dévore la place de la positive attitude.      

SéRéNITé (Agra, 7.02.2013)
Le réveil sonne à 6 heures. Vite, il ne faut pas le louper. Nous nous levons, nous marchons d'un pas soutenu dans la ville encore calme, nous nous trompons de chemin mais arrivons à temps. Les portes viennent de s'ouvrir. Et le voilà. Au travers d'une immense porte de grès rouge, nous l'entrevoyons, d'une douceur laiteuse sur un fond bleu vaporeux. La porte une fois passée, il se tient là, devant nous, dans toute sa splendeur : le Taj Mahal, caressé par les premiers rayons du soleil. 

RIRE (Kasganj, 10.02.2013)
A la recherche d'une chambre pour la nuit, je suis assise dans le canapé du troisième hôtel que nous visitons. Le réceptionniste me fait patienter et attend apparemment un collègue. Il se lève et se penche au balcon pour voir s'il l'aperçoit. Il commence à faire le grand écart pour mieux voir en bas et peut-être aussi pour m'impressionner. Ce qui marche. Mais au moment où je me dis : « Wah, qu'il est souple ! », j'entends un puissant scrrrrrrrtchhhhhhh. « Oh non, il a pété son pantalon ! » C'est là qu'il faut garder son sérieux et refouler son rire. Les autres personnes présentes ont la délicatesse d'en faire autant. Le pauvre va chercher un nouveau pantalon dans son bureau et part se changer dans la cuisinette sous les rires tonitruants du garçon d'étage. ça y est, un sourire m'échappe.

SURPRISE (11.02.2013)
Nous voyons le Gange pour la première fois. Nous nous arrêtons donc un moment sur le pont qui le traverse. Accoudée à la barrière, j'observe la vie qui se déroule au bord de ce fleuve sacré. Soudain, une voiture passe, un sac plastique en est propulsé et finit sa course dans mes jambes. J'entends un bruit de céramique se briser... et je réalise soudain que je suis recouverte des cendres d'un papi ou d'une mami... Les enfants ici présents, qui ont déjà ramassé les quelques roupies également jetées par la fenêtre, hésitent à venir prendre le sac à mes pieds. Remis à l'ordre par un homme, ils s'approchent de moi, prennent furtivement le cornet et le jettent par-dessus bord. Ainsi papi ou mami, du moins ce qu'il en reste, s'en est allé rejoindre les eaux saintes. Et moi je reste plantée là, prise entre fou rire et ahurissement.     

GRATITUDE (Bareilly, 12-13.02.2013)
Nous sommes en pleine saison des mariages. Chouette ! Sauf que tous les hôtels affichent complet. Au bout du quatrième, je désespère. C'est à ce moment qu'Oliver-le-journaliste fait son entrée. Après nous avoir interviewés, il fait jouer ses contacts et nous dégotte une guest-house d'Etat. Une petite maison dans laquelle nous avons une grande chambre mise gratuitement à disposition. Notre voisin de chambre est un haut officier de la police, suffisamment important pour que sa sécurité soit assurée par des soldats armés qui patrouillent autour de la maison. Nous y resterons deux nuits et sympathiserons avec les soldats. Notre journaliste nous servira de guide pour les soirées, nous faisant découvrir avec enthousiasme et générosité les spécialités culinaires de la région. Une personne avec qui nous pouvons - enfin - discuter de sujets variés, comme la place de la famille dans nos pays respectifs, les conflits incessants entre musulmans et hindous, la prononciation de l'hindi... Son article paraît le 13 février dans le Hindustan Times, l'un des quatre grands journaux anglophones de l'Inde ainsi que dans le journal local en hindi. De quoi augmenter le nombre de photos et de salutations les jours suivant ces parutions. AG 16.02.13  

Bon voyage





Vous souhaitez vous rendre en Inde pour découvrir ce charmant pays, mais vous hésitez encore sur le moyen de locomotion local...

Quand les mots viennent à manquer


Lorsque la communication n'est plus possible avec les mots, le corps prend la relève. Persuadée de cela avant notre voyage, je me rends compte à quel point c'est en vérité incorrect. Le langage des mains est loin d'être commun à tout homme. Cette réalité nous a mis dans bien des situations : parfois fâcheuses, parfois dépitantes, souvent comiques. 
Une situation que l'on rencontre quotidiennement est celle de devoir demander combien coûte un produit. Fastoche, on sort les mains et on s'y met ! Mais revenons un instant en Arménie. D'abord nous mimons le signe de l’oseille avec nos doigts - comme si l'on caressait le bout de l’index et du majeur avec le pouce. Vu le regard perplexe du vendeur, nous constatons notre premier échec. Ensuite Olivier se tapote la fesse droite pour désigner le porte-monnaie, c'est sans objection notre deuxième échec. Alors, nous sortons le porte-monnaie, plus de malentendu possible ! Troisième échec. Nous remarquerons plus tard que les Arméniens mettent l'argent directement dans les poches latérales de leur pantalon. 
Restons dans les calculs et prenons l'exemple des chiffres. Sachez que dans bien des pays, le pouce compte pour beurre, sauf si le chiffre est 5. Donc, lorsque vous demandez 3 paquets de biscuits, avec le pouce, l'index et le majeur relevés, ne vous étonnez pas de ne recevoir que 2 paquets ! Si, à force, nous commençons à avoir l'habitude de ce pouce ignoré, la gestuelle géorgienne reste une énigme. On prend tous ses doigts, on les secoue, flexions, extensions, tournicoti, tournicoton, et stop, on ne bouge plus ! Euh... alors là... est-ce que je dois faire une soustraction du majeur plié à l'annulaire tendu et diviser par l'index à moitié fléchi ? Non, décidément, mon brave, je ne te déchiffre pas. Bon, ça c'est quand la notion de transcrire un chiffre avec ses doigts est partagée. Parce que j'ai parfois l'impression de jouer aux marionnettes lorsque j'agite mes doigts devant certains Indiens interloqués. 
Dans la catégorie « situation fâcheuse », voici celle du pouce en Iran, celui qui signifie « OK » ou « super » de par chez nous. Nous en avons usé à tour de bras pour dire « merci beaucoup », « c'est super » ou « oui oui, c'est très bon », jusqu'à ce qu'on nous apprenne, après un mois et demi dans le pays, que faire ce signe « est très mal ». Ce qu'il signifie exactement, nous ne le savons pas, mais nous avons bien compris que c'était tout sauf courtois. Oups, que de bavures ! Et dur de corriger le tir lorsque ce geste est devenu un automatisme. Le pire dans tout ça est qu'une certaine partie des Iraniens sait que les étrangers utilisent ce signe pour dire « super ». Ainsi, pour faire preuve de son hospitalité, ils nous brandissent un pouce magnifique ! Alors là tu te dis « je souris ou je déguerpis » ? 
La liste des différences gestuelles est encore longue. Demander à une voiture de s'arrêter. Dessiner dans les airs un toit pointu pour désigner une maison alors que toutes celles qui nous entourent n'ont que des toits plats. Le geste « viens par ici » pour nous et qui veut simplement dire « salut » pour d'autres. Le hochement de tête indien, un intermédiaire entre notre oui et notre non que l'on ne sait pas où classer... Pour illustrer à quel point le langage des mains est propre au pays et à sa culture, prenons le thé. Autant de pays traversés, autant de manières de le mimer. En Suisse, selon le langage des malentendants, on mime le trempage du sachet dans la tasse pour dire « thé ». En Turquie, il faut tourner vivement la cuillère comme pour mélanger l'amas de sucre au fond du petit verre transparent. En Iran, il ne se dit pas car on ne parle que très peu avec les mains. En Inde, on fait semblant de mener à sa bouche une soucoupe puisque celle-ci a détrôné la tasse en guise de récipient.
Lorsque le langage des mains fait défaut, il nous reste encore les expressions faciales. Enfin, c'était vrai avant d'arriver en Inde. Ici, nous avons beau contorsionner nos frimousses pour exprimer la colère, l'énervement, la fatigue, la surprise... nos interlocuteurs nous regardent, émerveillés, sourire jusqu'aux oreilles ! Alors on vient à court d'idées... et on continue à pédaler.
Autre moyen de communication, le dessin ou les images. Nous avions reçu, avant de partir, un petit carnet rempli de photos, spécialement conçu pour dialoguer. La question que je m'étais alors posée était : « Jusqu'où ce langage visuel sera-t-il partagé ? » En Iran, notre première adaptation fut requise : découper soigneusement la jolie femme de la rubrique camping, en monokini sous la douche. Ensuite il faut réussir à faire comprendre à notre interlocuteur que non, ceci n'est pas mon album de famille. Cela étant, ce petit livret nous a permis de jolis moments d'échanges : le paysan iranien qui passe en revue toutes les images et nous en apprend les mots en farsi, les heures passées à comparer avec des Turcs quels produits alimentaires l'on a en Suisse et lesquels on trouve dans leur pays, un garde-tunnel arménien qui recherche les mots qui lui manquent pour compléter son discours...
Alors le langage universel... nous ne l'avons pas encore trouvé. Si ce n'est qu'un sourire demeure partout un sourire. AG 13.02.13  

Phrases philosophiques et pensées de voyage


« L'avantage de rouler à vélo en été est que cela génère un courant d'air frais. Le désavantage de rouler à vélo en hiver est que cela génère un courant d'air frais » Olivier 

A la bouffe s'il vous plaît


Il est temps pour moi de m'arrêter quelques instants sur le sujet de la nourriture et de vous en offrir quelques miettes. Ma malice ne me poussera pas jusqu'à vous décrire les mille et une recettes succulentes que j'ai goûtées jusqu'à ce jour. La cuisine exotique, vous connaissez sûrement, peut se révéler excellente, surprenante et même parfois déconcertante… Une sauce indienne piment-citron, un nun iranien fourré aux fines herbes, ou simplement un çay turc à l'ombre d'un arbre...

Non, l'angle sous lequel je désire aborder ce sujet est celui du savoir-vivre à table. Si, comme moi, vous avez reçu une éducation, on vous aura assurément inculqué les « lois de la table ».

- Tu respecteras ce qu'ont préparé ton père et ta mère
- Tu ne tueras point sans apprêter par la suite
- Tu ne convoiteras pas l'assiette de ton voisin…

Si mes souvenirs sont bons, c'est à peu près ça. Enfin, si je ne confonds pas un peu avec les tables de la loi. Bref, tout ça pour dire que la table, par les routes et pistes que nous arpentons, est loin d'être comme-à-la-maison. Il y a tout d'abord ces aliments surabondants dans nos assiettes. Régions où la diététique ne doit pas être à l'ordre du jour. On trouve donc en tête de liste le sucre et l'huile. Allez trouver une bouteille d'huile de 10 litres ou des sacs de sucre de 5 kilos dans nos magasins au logo orangé ! En Turquie, rien de plus facile. Des rayons entiers leur sont consacrés, vu qu'on les consomme aux trois repas du jour. Et qui dit sucre dit enfants ! C'est en Iran qu'ils détiennent la palme. Là-bas, on peut y voir quantité de bouts de chou boire leur thé accompagné de cinq voire six morceaux de sucre. La tradition voulant que l'on dépose le sucre dans sa bouche puis qu'on le « nettoie » avec l’infusion. Il n'y a pas à dire, ce n'est peut-être pas recommandé par les dentistes mais c'est vraiment bon ! Si manger relève parfois de l'art dans nos contrées, j'ai pu constater que dans bien des pays, les habitants en sont apparemment restés aux peintures troglodytiques. Une main pour l'assiette, une autre pour la cuillère et hop, que je t'enfourne le repas vitesse grand « V ». Et que ça tombe par terre et que ça coule sur les habits... rien de dérangeant pour nos hôtes. Le plus comique, à n'en pas douter, reste le rot ou le pet des « anciens » à table. Difficile pour moi de ne pas esquisser un sourire dans ces moments. Si toutes ces choses, je me les imaginais un peu avant mon départ, ce qui par contre m'a surpris est le temps que les gens passent à table. Si vous, comme moi, recevons à la maison, le repas prendra facilement une à deux heures. Et là, je ne parle pas des périodes de fêtes. Derrière bien des portes que l'on nous a aimablement ouvertes, le repas semble relever plus d'une tâche que d'un plaisir. Par exemple, lors d'un mariage iranien, le repas a duré quarante-cinq minutes montre en main. En Iran toujours, le repas lié à la fête de Eid-E Ghorban - fête commémorative du sacrifice d'Abraham - que l'on a pris dans une famille d'éleveurs, s'est déroulé en seulement trente minutes. En Inde, à plusieurs reprises, alors que l'on mangeait dans de petits restaurants de bord de route, on nous a desservis avant que l'on ait fini nos assiettes et l'on nous a balancé la note alors que l'on mangeait encore. Difficile de comprendre ces attitudes lorsque l'on voit la richesse culinaire des pays que l'on traverse et que l'on sait que manger n'est pas forcément un acquis pour tous. OF 11.02.13