« Ce n’est pas parce qu'il y a des
imbéciles partout qu'il faut les imiter. » Olivier
Vingt jours
Cela fait maintenant vingt jours que nous circulons sur
les routes chinoises. Vingt jours que nous empruntons cette route mythique,
aujourd'hui recouverte d'asphalte. Si cette grande ligne noire a eu ses heures
de gloire, à ce jour, elle revêt le manteau de la solitude. Habit qu'elle
partage allègrement avec nous. Chaque jour se ressemble, le décor ne changeant
que peu. Ce sont d'infimes différences qui nous permettent de ne pas confondre
aujourd'hui avec hier, hier avec demain. L'eau se fait rare mais là où vivent
les quelques hommes de ces régions, elle nous est offerte. Ils puisent cette
denrée dans de grands bacs en plastique à moitié vides. Nous n'osons en
demander trop. Ce qu'on emporte
sur nos vélos manquera peut-être ici. Nous ne nous lavons plus. Nul ne
sait de quoi demain sera fait. Nos mains se ternissent et se dessèchent. Tannées
par ce soleil qui brûle ou recouvertes d'une
crasse qui s'accumule ? Nous ne le savons plus. Les discussions se font
rares, le vent emportant la plupart de nos mots. Il ne nous reste donc plus qu'à
plonger au fin fond de nous-mêmes. Attaquer cette liste de questions vieilles
de plus de trente ans et chercher des réponses. Mais les questions sont souvent
floues, effacées par l'usure du temps, par nos propres mensonges. Creuser,
jusqu'à plus force et ne plus savoir si le vent souffle à l'intérieur ou à
l'extérieur. Vingt jours de parcours lorsqu'il faudrait une vie pour se découvrir. OF 22.05.13
Phrases philosophiques et pensées de voyage
« Il y a des personnes qui emmènent leur
femme au bout du monde, moi j'y vais avec. » Olivier
L'or bleu
C'est dans une région
des plus arides que m'est venue l'envie de rédiger ces quelques lignes. C'est
plus exactement dans les ruines d'un ancien caravansérail où l'on a établi
notre campement pour la nuit. Dans ce lieu chargé d'histoire, je me suis comme
souvent posé cette question : « Où se situe le prochain point d'eau
? »
Même sans avoir une
grande expérience du voyage, l'on n'est pas sans savoir que l'eau est précieuse.
En voyageant, on apprend que cet élément est un trésor que l'on se doit de
respecter et de partager. Rapidement, on se familiarise avec ce breuvage et
l'on apprend, parfois à ses dépens, ces grands « principes ». Pour
n'en citer qu’un : là où il y a des hommes, il y a de l'eau.
Naturellement, ce n'est pas à tous les coups le jardin d'Eden. La végétation
luxuriante et les lacs cristallins ne sont que trop rares le long des routes.
Mais généralement de simples fontaines, robinets ou puits font notre plus grand
bonheur. Une fois que l'on a l'eau, c'est la patience qui est de mise. Votre
denrée a beau être claire comme du cristal,
il est peu probable qu’elle soit directement consommable. Sans m’arrêter sur
les hydrocarbures, les engrais et les pesticides, permettez-moi de faire une
halte sur les charognes. Imaginez des montagnes où coulent de magnifiques
ruisseaux, véritables filets d'argent sur lits de galets : la pureté au
naturel. Imaginez comme il serait bon de se pencher simplement un peu pour en
boire ne serait-ce qu'une gorgée. N’en faites rien ! A coup sûr, cent mètres
en amont, un yak ou un bouquetin aura décidé de finir ses jours à même le cours
d’eau et goge les quatre fers en l'air, le ventre comme un soufflé au fromage.
N'oublions pas que du temps où Saladin combattait les Croisés, la bête crevée
dans le puits était une redoutable arme chimique !
Pour conclure dans
cette thématique aqueuse, laissez-moi emprunter et compléter cette phrase
d'Archimède : « Tout corps plongé dans un liquide ressort mouillé,
propre s'il a du savon et frigorifié s'il y a du vent.» OF 13.05.13
De Hami à Dunhang
Hami, grande ville que nous ne ferons qu'effleurer. Un simple coup
d'oeil à sa fierté urbaine et aux routes qui la traversent nous fait sentir que
nous sommes de retour à la civilisation. Mais un jour de vélo supplémentaire et
nos conclusions hâtives s'effondrent. Avec le nord de la chaîne des Tian Shan,
nous pensions avoir traversé un « bout du monde ». Nous réalisons
maintenant à quel point il était en fait habité. Ici, le désert minéral règne véritablement
en maître. Et des âmes qui vivent, nous n'en croisons qu'à trois endroits
seulement : sur l'autoroute, sur les aires de parking et dans les stations-service
qui bordent l'unique artère. Pas de village. Pas de troupeau. Les ronds indiqués
sur notre carte, censés représenter des villes ou des villages (enfin, la légende
est en chinois...), ne sont en fait que des lieux-dits. N'ayant pas anticipé sur
cette pénurie de lieux de ravitaillement, nous nous rabattons sur ce que les
restaurants pour routiers vendent, c'est à dire des noodle soups, du chou chinois, des oeufs parfois.
Notre rythme quotidien est dépendant du fait que nous avons un visa d'un
mois et que nous ne pouvons le renouveler qu'en certains lieux définis. Tout prévoyants
que nous sommes, nous avons multiplié additions, soustractions et divisions
pour arriver à un nombre moyen de kilomètres quotidiens à réaliser jusqu'à
notre première prolongation. Mais c’est tout penauds que nous avons dû nous résoudre
à une évidence. Le vent est plus fort que l’entendement. Le calcul devient
alors des plus simples : on efface tout et on avance, tant que l'on peut. Car
lorsqu'un vent de face d'une vitesse moyenne de 30 km/h. - avec des pics à plus
de 45 km/h. - fait vibrer chaque cellule de notre corps et nous contraint à
marcher à côté de notre vélo, tout s'effondre. Une seule rafale et l'idée de
parcourir les 70 km. prévus au programme s'envole.
Le 15 mai, nous quittons le Xinjiang et nous entrons dans le Gansu.
Notre deuxième Chine s'ouvre à nous. Il n'y a plus trace d’ouïghour sur les
panneaux routiers. Par contre, les signes chinois sont bien souvent traduits en
caractères latins. La langue de Shakespeare n'en est pas pour autant plus répandue
dans la bouche des locaux. Par la force des choses, petit à petit, notre
chinois prend forme. On sait demander les prix et on parvient à comprendre les
chiffres. On s'aide de notre petit livre d'images, du lexique de notre guide
touristique et des mimes. Bon, notre langage improvisé manque encore quelque
peu d'entraînement. Peut-être qu'un jour arriverons nous à commander des oeufs
crus à l'emporter sans nous retrouver devant une assiette d'oeufs brouillés.
Après seize jours de vélo en terre chinoise, nous atteignons Dunhuang.
Nos corps fatigués nous demandent comme ils le peuvent un peu de repos. Bon,
demande accordée. Vous avez deux jours pour vous remettre en état. Ensuite,
nous devons attaquer la dernière ligne droite avant la ville où nous
renouvellerons nos visas. Alors nous choyons nos corps : première douche depuis
notre départ d'ürümqi, victuailles
fraîches du marché pour remplacer les noodle soups ou la viande sous vide... Et nous
avons déniché un lieu adéquat pour cette remise en forme : une auberge de
jeunesse située à côté des incroyables dunes de sable à l'extrémité de la
ville. Eh oui, nous avons beau en avoir déjà vu, elles nous font toujours de
l'effet.
Mais aujourd’hui, le plus beau des cadeaux vient de vous, amis et
famille. Ouvrir notre boîte mails, y découvrir un bouquet fleuri de messages,
nous enivrer de son parfum d'amour et d'amitié et nous laisser bercer par la
joie qui en émane. Alors merci. AG 17.05.13De Kathmandu à 哈密
Deux semaines de sédentarisme à Katmandou. Une quinzaine de jours où
l'on renoue avec ce qu'un tel mode de vie génère : vie en société (notre société
à nous, c'est entre autres l'équipe de Français du massif de l’Annapurna), fidélisation
avec le maraîcher et la laitière du quartier, sourires complices avec les
employés de l’Everest Momo Center (restaurant où l'on sert uniquement des momos,
sorte de raviolis farcis cuits à la vapeur) qui nous voient débarquer presque
tous les soirs... Bref, une vie faite de routines et d'habitudes. Certes fort
agréables. Mais en fin de séjour, les jambes s'impatientent. Le temps de reprendre
l'aventure est venu.
Le 28 avril, nous décollons de Katmandou et atterrissons à Chengdu où
nous passons notre première nuit en terre chinoise dans un hôtel luxueux aux
frais d'Air China. Le lendemain, envol pour ürümqi où nous avons un pied-à-terre chez Natasha, une
expatriée anglaise qui nous met à disposition tout le confort de son
appartement. Ce dernier est le lieu de convergence des cyclo-voyageurs de tous
horizons. Nous y retrouvons Lukas, un Hollandais qui s'en va à l'Ouest ainsi
que Callie, une Américaine qui part au Nord. Nous, c'est à l'Est que notre
route se profile. Après deux jours de douce immersion dans cette nouvelle terre
d'accueil, nous nous lançons. Chine, nous voici ! Mais nous avons tôt fait de
relever que LA Chine, au singulier, n'existe qu'en tant qu'entité nationale.
Sur le terrain, il existe bel et bien DES Chines. Et la première que nous découvrons
est celle du Xinjiang, terre des Ouïghours, nomades musulmans d'Asie centrale.
Quelques hésitations sur l'itinéraire puis nous optons pour la route qui longe la face nord de la chaîne des Tian Shan. Après avoir quitté ürümqi et les nombreuses zones industrielles qui succèdent à la ville, nous roulons des jours entiers perdus au milieu de rien. Une route rectiligne, quelques véhicules et nous. A gauche, des étendues à perte de vue. A droite, la chaîne de montagnes dont la crête revêt encore son manteau blanc. De temps en temps, une yourte accouplée à son enclos se cache derrière une colline. Seuls, nous ne le sommes jamais ; moutons, chèvres, chevaux, ânes et chameaux donnent vie à cette terre de silence. Le nomadisme nous habite à nouveau, comme si cela allait de soi. Il faut avouer que trouver un lieu de camping n'est guère difficile dans cet environnement. Le vent néanmoins nous compliquera parfois la tâche.
Quelques hésitations sur l'itinéraire puis nous optons pour la route qui longe la face nord de la chaîne des Tian Shan. Après avoir quitté ürümqi et les nombreuses zones industrielles qui succèdent à la ville, nous roulons des jours entiers perdus au milieu de rien. Une route rectiligne, quelques véhicules et nous. A gauche, des étendues à perte de vue. A droite, la chaîne de montagnes dont la crête revêt encore son manteau blanc. De temps en temps, une yourte accouplée à son enclos se cache derrière une colline. Seuls, nous ne le sommes jamais ; moutons, chèvres, chevaux, ânes et chameaux donnent vie à cette terre de silence. Le nomadisme nous habite à nouveau, comme si cela allait de soi. Il faut avouer que trouver un lieu de camping n'est guère difficile dans cet environnement. Le vent néanmoins nous compliquera parfois la tâche.
Ainsi nous renouons avec la nature et nous nous laissons conquérir avec
plaisir par le peuple qui l'habite. Nous retrouvons entre eux et nous, qu'ils
soient Ouïghours ou Han, les similitudes qui nous avaient longtemps manqué.
Pour eux, la barrière de la langue n'est pas une fatalité. Si les mots viennent
à manquer, alors ils cherchent des alternatives à la communication. Comme ce
restaurateur qui, au vu de ma mine perplexe devant le menu en chinois, me fait
venir en cuisine pour me montrer les aliments et me mimer leur préparation.
Depuis notre arrivée en Chine, nous avons retrouvé un certain anonymat, ce qui
n'empêche pas de nombreuses personnes de nous offrir leur plus beau sourire.
Ceci une fois l'effet de surprise passé. C'est qu'ils ne doivent pas voir
beaucoup de cyclo-voyageurs occidentaux par ici, car la plupart d’entre eux
passent par la route de la soie, de l'autre côté des montagnes. Là-bas, c'est désertique
et chaud. Ici, il y a comme des airs de bout du monde et il peut faire froid.
La nuit et tôt le matin, la température flirte avec le zéro degré. D'ailleurs,
l'une des premières préoccupations des habitants est de savoir si nous avons
des habits chauds avec nous. Beaucoup d'entre eux portent de longs manteaux
feutrés verts avec des boutons dorés ainsi que de gros bonnets doublés de
fourrure.
Petit à petit, nous décodons ce bout du monde. Nous apprenons par
exemple qu'un bâtiment aux allures d'entrepôt peut se révéler être un
restaurant, un magasin, ou les deux. Une fin de matinée, à la recherche de
victuailles, nous désespérons devant l'alignée de hangars et l'absence de
magasin. Quoique. Un homme entre dans l'un de ces blocs. Et si nous tentions le
coup ? Bon, c'est cinquante-cinquante entre l'arrivée dans un réel magasin et
l'entrée intrusive dans une demeure privée. Doucement, je pousse la porte.
Premier tableau : un canapé avec deux femmes et un homme qui me regardent
d’un air étonné. Non, allez, ce n'est pas possible, je n'ai pas pu me tromper !
Tant qu'à faire, je pousse un peu plus loin. Deuxième tableau : des étagères
avec des denrées. Victoire ! C'est un magasin ! Tout petit, mais il y a de quoi
trouver son bonheur. Il faut dire qu'au niveau culinaire, nous nous extasions
devant la diversité des aliments et la variété des saveurs. Rien ne se
ressemble et tout est bon… ou presque. Fini le dal bhat ; place aux
boules-vapeur, au tofu et à la viande, aux pains divers, aux nouilles et à la
sauce soja... et j'en passe. Et vive les baguettes, pour le plus grand plaisir
et rires de ceux qui nous regardent faire.
Hier, nous avons quitté notre bout du monde, avons conquis un col à 2’800
mètres et sommes redescendus de l'autre côté des montagnes. Au loin, nous
apercevons la silhouette urbaine de Hami. Mais pour l'heure, nous campons dans
les ruines de ce qui fut jadis une ville ou peut-être un caravansérail. Car
nous voilà à nouveau sur la route de la soie. AG 12.05.13
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