24 mars 2014, nous
franchissons la porte d’Ushuaïa. Délivrance ou emprisonnement ? Sur le bas-côté
de la route, la couleur est annoncée. Une gravure de taille rappelle aux
visiteurs qu’Ushuaïa a tout d'abord été un bagne. Un bagne à l'image de ceux
d'Australie pour les Britanniques et de la Guyane pour nos voisins Français. Si
les reclus ont aujourd'hui disparu, leurs gardiens, eux, sont toujours là. De
jour comme de nuit, on les entend rôder dans les rues et les ruelles de cette
ville la plus australe du monde. Ils gémissent, faisant
craquer cet amas de tôle, porte de l’Antarctique. L'impression n'y est
pas ! Entourée d'îles et de terres, la baie d’Ushuaïa ressemble à
n'importe quelle baie. Le tableau est sombre et nul ne sait vraiment qui la
peint ainsi : l'Auteur ou le voyageur ? OF 31.03.2014
De Puerto Natales à Ushuaia
De Puerto Natales à
Ushuaïa ou l'aventure au coeur des éléments. Un voyage à vélo ne peut se définir
en dehors des quatre fondamentaux qui formèrent symboliquement notre univers.
Au quotidien, nous sommes en résonance avec eux et ce lien peut tenir autant de
l'harmonie que de la lutte. Un lien sans lequel il est impossible de composer
ici, dans cette région du monde, où la Nature domine encore en grande partie les
hommes.
Il ne s'est passé
aucun réveil sans que l'on ne se pose ces deux questions : « Y a-t-il du
vent ? » Si oui, « Dans quel sens souffle-t-il ? » Le cyclo a
tendance à croire que le vent, fatalement, vient toujours de face et à se
sentir victime d'une éternelle malchance. Mais maintenant, je sais ce que c'est
que d'avoir le vent dans le dos. Pouvoir tâter distraitement de la pédale, plus
pour le geste que pour l'efficacité et néanmoins faire du 30 km/h. sur de la
piste. Pouvoir dire « Vas-y, le vent, souffle ! » Réaliser une
centaine de kilomètres dans une journée sans être fatigué. Pour une fois,
rendre hommage aux cyclo-voyageurs qui font le trajet en sens inverse et se délecter
de ne pas être à leur place. Et toujours espérer que le virage que l'on voit au
loin ne nous dévie pas de la trajectoire du vent. Malgré tout, notre route ne
fut pas une ligne droite... Le vent latéral nous a parfois contraints à pousser
le vélo, surtout pour des questions de sécurité et nous avons de justesse évité
d'avoir à ajouter quelques coches au tableau des chutes. Ami, ennemi. Amour et
haine. Le vent a joué de nos émotions comme il s’amuse avec les feuilles
d'automne.
Pour une fois, ce
n'est pas sous la forme de la pluie que l'eau se distingue. Je pourrais évoquer
le détroit de Magellan ou le canal de Beagle. Mais c'est un autre cours d'eau,
bien plus modeste, qui restera dans nos souvenirs. Car si le détroit de
Magellan, nous l'avons traversé sans aucun effort à bord d'un ferry, il en est
tout autre de la rivière Bella Vista. D'un côté, le Chili. De l'autre,
l'Argentine. Est-ce pour cette raison qu'il n'y a pas de pont pour la traverser
? Peu importe l'explication, le fait est là : il nous faut passer de l'autre côté
de cet obstacle d'environ 8 mètres de large. La profondeur ? L'opacité de l'eau
ne nous permet pas de l'évaluer. Tout ce que l'on voit, c'est un cours d'eau
effréné qui défile sous nos yeux à vive allure. Pas le temps de tergiverser car
lorsque l'on s'arrête de bouger, le vent glacial nous cingle le visage et le
corps. Nous enlevons chaussures, chaussettes et pantalons, empoignons nos
sacoches avant et nous jetons à l'eau. Ce qui au départ étaient encore des jambes,
des pieds et des orteils deviennent rapidement des bâtons rigides et
insensibles. Seule la douleur de marcher sur des galets persiste. Surtout
regarder ses pieds ; un regard en avant et la vue du courant nous fait perdre
notre équilibre précaire. Une fois de l'autre côté, il nous faut revenir sur la
rive où attend la suite du chargement. L'eau ne nous arrivant qu'à hauteur du
bas des cuisses, nous décidons de prendre le reste en un seul trajet. De toute
manière, nous n'aurions pas la résistance de faire plus d'allers et retours. La
force de l'eau rend difficile la manipulation du vélo. Mais ça y est, nous
sommes passés de l'autre côté de la rivière et notre chargement aussi.
Rapidement nous séchons et rhabillons ces choses douloureuses qui nous servent à
marcher. Ensuite il faut y faire revenir le sang et les réchauffer : marcher et
surtout ne pas s'arrêter.
Après la rivière,
il y a eu la frontière. Un des douaniers, nous voyant masser nos pieds pour
essayer de les réchauffer, nous emmène dans sa chaumière et demande à la femme
qui y vit de remettre du bois dans le poêle. Il installe un banc devant ce
dernier et nous y invite. Le temps d'un pique-nique et nos pieds ont retrouvé
toute leur vitalité.
Un autre soir, après
une journée balayée par les vents glacés, il y a eu l'estancia José Menendez. Une chambre à l’abri du vent où ronronne un
fourneau. Une cuisine constamment surchauffée par l'énorme poêle à gaz qui sert
de cuisinière. Des moments d'échanges avec l’intendant du domaine dans cette
chaleur apaisante. Ici, le Feu est de celui qui réchauffe, de celui qui
rassemble. Il est de celui qui permet de supporter l'Air, la Terre et l'Eau, du
simple fait de savoir qu'il existe.
Ainsi avons-nous
cheminé jusqu'à Ushuaïa. Des envoûtants cirques de montagnes du Torres del Paine
aux pâturages désolés et aux forêts enchantées de la Terre de Feu, nous avons réalisé
nos derniers kilomètres sur sol américain. La fin d'une étape, une page se
tourne. Une feuille vierge attend d'être griffonnée, celle de l'aventure européenne. AG 26.03.14 30'000 km
Il y a un an encore, j'aurais abordé cette étape d'une
toute autre manière. Trompettes et tambours auraient été au rendez-vous. Bilan,
synthèse, résumé, chiffres, conclusion et projection auraient formé le
squelette de ce texte. Aujourd'hui, je n'en vois pas l'utilité. Certes, 30’000
km. de voyage à vélo, ce n'est pas rien. Mais ce n'est pas ce nombre qui a fait
et fait la qualité de notre aventure. Ce n'est ni la distance ni le temps qui
ont façonné la beauté de notre voyage. L'alchimie est plus complexe et
heureusement la recette change d'un voyageur à l'autre. Une personne m’a dit un
jour que ce n'était pas arriver qui était important mais s'y rendre. Vivre est,
à n'en pas douter, plus excitant qu'une étagère où trône une collection de
trophées. Alors oui, nous avons franchi une étape symbolique mais, mieux
encore, nous envisageons de continuer à nous réjouir du moment présent. Ceci,
non pas pour 10’000 ou 20'000 km. de plus, mais si possible pour toute une vie. OF 10.03.14
Plus ridicule, on n'a pas pu !!! |
L'épopée d'une star
En
sortant du four, il ne pouvait le savoir, son destin allait être bien plus
grand que le moule qui l'avait vu naître. Coïncidence ou signe du destin, les
avis divergent encore. Il n'était pas meilleur que les autres, plutôt bonne pâte
et à croquer. C'était peu après les fêtes que tout a commencé. Le soir même où
ses amis allèrent en boîte et qu'il opta pour un abri en carton. Opportuniste,
il profita d'un envoi de sac à dos pour franchir l’Atlantique. Une arrivée périlleuse
où il fallait faire profil bas. Des comme lui, on n'en veut pas dans ce pays.
On les attend avec des chiens et rares sont ceux qui échappent à leur
vigilance. Discret, il savait l'être. Se faire oublier était dans ses cordes.
Malgré certaines médisances, il ne s'estimait pas être fait en sucre. Peut-être
même espérait-il un jour devenir un dur à cuire. Lors de son voyage, il
embarqua à deux reprises sur cet océan que Magellan baptisa en 1520 : le
Pacifique. Il connut les fjords tumultueux de Patagonie, vogua sur des lacs aux
verts si intenses qu'ils font passer les plus belles émeraudes colombiennes
pour de vulgaires cailloux. Il connut les vents des cinquantièmes, les nuits
froides et les réveils humides de ces terres oubliées. Il parcourut plus de
mille kilomètres de piste où, aujourd'hui encore, on fait céder la roche à
grands coups de dynamite. Mais tout comme les histoires, les voyages ont
une fin. Le sien se termina à l'endroit même où se termine la Carretera Austral
: Villa O'Higgins. Tout comme Moïse, en d'autres temps, il ne put fouler la
terre promise. Dévoré en guise d’apéro, par deux cyclo-voyageurs affamés, ce
petit milanais en forme d'étoile s'éteignit une fin de matinée.
Ceci
est l'histoire vraie d'un petit biscuit fait maison.
OF 14.03.2014
De El Chalten à Puerto Natales
Un vrai parcours fléché que le trajet de El Chalten à Puerto Natales ! Nous sommes entrés dans le royaume où le vent règne en maître et planter sa tente en plein coeur de la pampa peut s'avérer... regrettable. Ce sont donc les lieux de campement qui détermineront les étapes quotidiennes et les bons plans passent de cyclo en cyclo. Il y a d'abord la Pink House, une maison abandonnée dont les murs se recouvrent petit à petit des griffonnages des voyageurs. Il y a aussi la petite cahute qui servit autrefois d'hébergement aux ouvriers d’un chantier et qui prend aujourd’hui des airs de maison de rêve pour les cyclos. Et puis la cour d'un campo dans laquelle un nandou éventré gît suspendu par les pattes, où les poules picorent un morceau de foie frais et où les entrailles d'un gros animal sèchent dans une brouette. Il y aura encore une place de jeux, presque aussi grande que le village lui-même, dont les palissades protègent du vent.
Les étapes quotidiennes vont de 70 à 120 km. ; pourtant il n'est jamais possible de savoir à l'avance si l'on va atteindre ou non le lieu de campement. Une incertitude dont seul le vent en est la cause. Un vent de dos et le trajet est un régal. Un vent de face et il faut parfois renoncer. Nous avons vite compris que se lever tôt permet généralement de profiter d'une période d'accalmie.
Il est un bruit qui circule entre cyclo-voyageurs : la meilleure boulangerie d'Amérique du Sud se trouve à El Calafate. Il nous a donc fallu vérifier ces dires. A ce jour, nous pourrions effectivement les confirmer. Mais à cela j'y vois deux biais majeurs d'interprétation. De un, c'est à peu près la seule boulangerie que nous ayons testée. De deux, après une journée d'efforts et des jours de régime avoine-pain-pâtes, n'importe quelle pâtisserie remporterait la palme. Mais à vrai dire, la raison de notre détour à El Calafate n'était pas gastronomique mais géologique : le glacier Perito Moreno. Ce monstre de glace ne nous aura pas déçus malgré les attentes profondes que nous nourrissions. Un géant éphémère dont la fragilité est bouleversante. Devant nous, il vêle et s'effondre. Jamais plus il ne sera comme avant. Et chaque jour, il perd un peu de lui-même.
Près de Cerro Castillo nous franchissons une nouvelle fois la frontière argentino-chilienne. Deux tampons de plus dans nos passeports. A Puerto Natales, nous toquons à la porte de Daniel, un ex-Blonaysan qui a migré au Chili il y a trente ans et qui vit depuis de la photo. « Voici votre chambre à coucher, ici se trouve la cuisine, là la salle de bains. Lorsque vous aurez pris une douche, venez me rejoindre dans ma maison au fond du jardin. » Nous comprenons alors que nous venons de visiter la maison des invités. Nous consacrons une journée à la préparation de la marche dans le parc Torres del Paine. C'est que nos deux roues ne vont cette fois-ci pas porter notre chargement. Le poids et le volume de chaque objet prennent donc une toute autre valeur.
- Quoi !?! Mais Aline, tu ne vas pas prendre ta doudoune !
- Bien sûr que si ! S'il fait froid ! Et j'ai pris aussi mes chaussettes chaudes et mes premières couches en mérinos !
- T'es dingue ! T'as vu déjà tout ce qu'on doit porter ?! Moi je prends mes vêtements de pluie point barre.
- Mais...tu ne prends pas de chaussettes de rechange, ni de culotte, ni de deuxième T-shirt au cas où le premier serait trempe ?
- Non.
- Ah !
- Fais comme tu veux, mais je ne sais même pas si on va réussir à porter le reste. Et s'il fait froid, ça sera le soir. T'auras qu'à te mettre dans ton sac de couchage et c'est réglé.
- Bon.
Le lendemain, dans le bus qui nous emmène au parc :
- Dis voir, Olivier, j'ai tout à coup un doute. T'as bien enlevé le panneau solaire (un demi kilo) du boudin étanche où se trouve la tente ?
- Ah ben non !
Silence.
- Et c'est dommage, je lis qu'aux campings il y a des douches chaudes... Mais on n'a pas pris de linge...
Re-silence.
Quoiqu'il en soit, nos sacs à dos sont lourds et pleins à craquer. En plus de nos sacs de couchage, de la tente et des matelas, nous avons pour six jours de nourriture. Nous avons opté pour des aliments qui ne nécessitent pas de cuisson, afin de s'épargner le poids du réchaud. Nous avons eu beau creuser notre imagination et scruter les étalages du magasin, si l'on veut rester dans l'économique-pratique-efficient, les repas ne seront guère variés : ça sera avoine le matin, pain à midi et biscuits le soir. Pour encore plus de rentabilité volume-nutrition, nous avons fait notre pain nous-mêmes. Et à 7h30 le samedi 1er mars, nous sommes fin prêts à monter dans le bus qui nous emmènera au parc, aussi enthousiastes que des gamins pour la course d'école annuelle. AG 01.03.14
De Villa O'Higgins à El Chalten
Villa O'Higgins, ou la fin d'une aventure, celle de la Carretera Austral. Pour fêter cet événement, rien de tel qu'un rodéo. Etrange tout de même que cette envie de monter sur un cheval enragé pour se faire secouer dans tous les sens, voire se faire piétiner par l'animal... Dans tous les cas, cela comble le peuple qui regarde avec plaisir ces courageux, une bière ou un sandwich à la main.
Le lendemain de notre arrivée, nous entamons le périple qui relie Villa O'Higgins à El Chalten. Au travers des récits des voyageurs que nous avons croisés, nous avons pu nous faire une idée du trajet : il semble plutôt relever d'un parcours du combattant que d'une balade de plaisance ! La première étape est la traversée du lac O'Higgins : facile, nous avançons sans effort, une fois le porte-monnaie allégé. Deuxième étape : la montée de 6 km. sur une piste raide et caillouteuse. Moins drôle. Cass, un Britanique muni d'un fat bike grimpe comme un chamois. Marion et Mathias optent pour le pédaler-pousser. Quant à nous, nous poussons la plupart du temps. Olivier a ressorti de ses sacoches son costume de superman et porte sur le dos une partie de mon chargement. La fin de cette étape est couronnée par l'apparition soudaine du Fitz Roy. Moment d'émotions intenses. Séance photos. Troisième étape : 10 km. de plat à travers la forêt. C'est le moment de se détendre car la quatrième étape va consommer toute l'énergie restante : 6 km. de gymkana composé de racines sinueuses, de troncs d'arbres, d'étroits sillons de terre, de rivières, de champs de boue, de gros cailloux, de ronces... Une chute aura raison de mes nerfs. C'est à peine si je peux apprécier l'incroyable panorama qui s'offre à nous. Et puis ça y est, nous voilà au Lago del Desierto, en Argentine. Les étapes difficiles sont derrière nous. Il est 19h30. Il nous faut attendre le lendemain pour pouvoir prendre le bateau qui nous portera du nord au sud du lac. C'est sans se faire prier que nous établissons le campement sur les rives du lac, car en face de nous se dresse le magnifique Fitz Roy. Le lendemain, le bateau annoncé pour 11 heures arrive à 15h30. Nous aurons tout juste le temps, une fois sur l'autre rive, de parcourir les 37 km. de piste qui nous mènent à El Chalten. Dans ce village, nous entrons comme un coureur franchit la ligne d'arrivée d'un marathon : fatigués mais heureux d'avoir atteint notre but.
D'autres cyclo-voyageurs nous ont conseillé de nous adresser à Flor pour se loger sans frais à El Chalten. Pour la trouver, rien de plus simple : repérer le jardin bondé de tentes multicolores. Belle leçon de vie que l'accueil de Flor qui met à la disposition des gens du voyage tout ce qu'elle possède : jardin, douche, cuisine, sourire, lit des enfants si besoin... Après un brin de ménage jardinier, il y aura tout juste l'espace pour deux tentes supplémentaires. Olivier et moi dormirons la première nuit dans le petit magasin de notre hôte puis installerons notre tente sitôt une place libérée. Le rêve de Flor : partir elle aussi en voyage à vélo. La voilà qui répare un vieux biclou qui aurait sans hésitation été condamné de par chez nous. Chaque cyclo met la main à la pâte : dérouillage de la chaîne, nettoyage du moyeu, ajout d'un nouveau rayon, etc. Nous restons à El Chalten trois jours, principalement pour profiter des sentiers de randonnées. C'est d'ailleurs au pied du Cerro Torre que nous retrouvons Stefan et Magali, cachés à l'abri du vent derrière un mur de pierres. L'équipe des cyclos suisses-romands est au complet ! Une autre marche nous mènera aux lagunes du Fitz Roy. Difficile de quitter un lieu aussi envoûtant... Sans le vent glacial, nous y serions peut-être encore. AG 19.02.14
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